Vision et sens magnétique – pigeon voyageur
Les yeux des pigeons voyageurs ne nous ont pas encore révélé tous leurs secrets
L’orientation des oiseaux est une question qui passionne tout autant les chercheurs que les passionnés d’oiseaux et plus spécialement les colombophiles, toujours admiratifs devant les exploits hebdomadaires de leurs protégés.
Dans cet article, je vais commenter de très récentes découvertes liant la vision et le sens magnétique chez les oiseaux. Après un bref rappel du rôle de la vision dans l’orientation du pigeon voyageur, nous verrons plus en détail la méthode expérimentale ayant permis de lier vision et sens magnétique. En conclusion, j’essayerai de voir comment ces nouvelles données scientifiques peuvent avoir de l’importance dans notre pratique quotidienne de la colombophilie.
1/ Vision et orientation chez le pigeon voyageur.
L’oiseau pour pouvoir s’orienter, a besoin d’interagir fortement avec le milieu extérieur et parmi les 5 sens, la vision et l’olfaction sont particulièrement sollicitées chez le pigeon voyageur. Le rôle de la vision dans l’orientation du pigeon voyageur est une question fortement débattue depuis que l’on s’intéresse aux mécanismes permettant aux pigeons voyageurs de s’orienter. Louis Palliez, en 1930, dans son livre « Le pigeon voyageur : son origine description, ses qualités, ses aptitudes » fait des remarques extrêmement intéressantes concernant l’utilisation de la vision dans l’orientation du pigeon voyageur, sans pour autant imaginer le rôle fondamental de la vision. Des années plus tard, Schmidt-Koenig en 1958 montrera que la vision est particulièrement importante pour l’orientation du pigeon voyageur car le pigeon regarde l’emplacement du soleil pour s’orienter : Il utilise l’azimut du soleil comme boussole. Cette capacité d’utiliser le soleil comme repère géodésique est tout à fait remarquable, puisque le soleil change d’emplacement tout au long de la journée. En fait, le pigeon possède une horloge biologique qui lui permet de rectifier le mouvement du soleil. Si le rôle du soleil dans l’orientation du pigeon voyageur est une certitude, le rôle de repères visuels est plus contesté. Cependant, l’on s’accorde à admettre que dans les derniers kilomètres, le pigeon utilise des repaires visuels locaux pour terminer son approche finale.
2/ Les expériences de l’équipe du Dr Wiltschko
Les oiseaux, comme d’autres animaux d’ailleurs, font aussi appel à un sixième sens, le sens magnétique. Beaucoup d’encre a coulé concernant ce fameux sens magnétique chez le pigeon voyageur et il faut l’avouer, à ce jour, aucune preuve formelle n’a été amenée, prouvant de manière définitive l’existence et plus encore l’utilisation de ce sens par le pigeon voyageur. Pourtant ce sens magnétique existe bel et bien chez les oiseaux comme l’a montré l’équipe du Dr Wiltschko de Frankfort, Allemagne, qui travaille, entre autre, sur l’orientation du rouge-gorge. Au printemps, au retour des beaux jours, les rouges-gorges migrent la nuit vers le Nord-Est. Lorsque des rouges-gorges sont maintenus en volière pendant la période de migration, ces oiseaux se regroupent instinctivement sur le coté Nord-Est de la cage, qui correspond à la direction qu’ils auraient prise s’ils n’avaient pas été retenus prisonniers (voir figure 1)
Figure 1 : le cercle gris correspond à la cage. Pendant la journée les rouges-gorges occupent tout l’espace. La nuit, ils se rassemblent sur la face Nord-Est de la cage. Cette direction est celle de leur migration.
Il est clairement établi que les rouges-gorges utilisent le sens magnétique pour se diriger pendant leur migration. Cela a été prouvé en installant ces oiseaux dans des cages où il était possible de modifier la direction du Nord magnétique : la position des oiseaux dans la cage pendant la nuit est directement liée au Nord magnétique imposé.
Si le rôle du sens magnétique dans la migration des rouges-gorges est incontestable, le moyen utilisé par les oiseaux pour sentir le champ magnétique reste un mystère. Chez le pigeon, certains prétendent qu’il y aurait des microcristaux de magnétites soit à la base de la tête, soit dans le bec et ce sont ces cristaux qui seraient responsables de la détection du champ magnétique. Cela reste à prouver. Une autre hypothèse concernant la détection du champ magnétique chez les animaux a été émise il y a plus de 25 ans de cela : on avait imaginé que l’aiguille aimantée de la boussole pouvait être remplacée chez les être vivants par des macromolécules rendues sensibles au champ magnétique lorsqu’elles interagissent avec la lumière (photons). Les yeux, riches en terminaisons nerveuses et en pigments sont donc tout désignés pour être le siège de la détection du sens magnétique chez les oiseaux. Reprenant cette hypothèse, l’équipe du Dr Wiltschko a voulu étudier le comportement des rouges-gorges lorsque ces oiseaux sont soumis à des lumières de différentes couleurs et de différentes intensités.
Pour bien comprendre leur expérience, faisons un bref rappel de physique. La lumière blanche qui provient du soleil est la résultante de lumière de différentes couleurs (ou longueur d’onde). L’arc-en-ciel est justement un phénomène physique qui permet de séparer les différentes composantes de la lumière.
Lorsque l’on refait la même expérience, avec des oiseaux qui passe leur journée avec des lumières bleue, turquoise, verte ou jaune, l’on s’aperçoit que la lumière jaune ne permet pas aux rouges-gorges de s’orienter correctement et les oiseaux se répartissent aléatoirement au bord de la cage (figure 2)
Figure 2 : le cercle gris correspond à la cage. Pendant la journée les rouges-gorges sont éclairés avec des lumières de différentes couleurs (bleue, turquoise, verte ou jaune). Les losanges noirs correspondent à la position des oiseaux pendant la nuit. Les oiseaux se rassemblent sur la face Nord-Est de la cage lorsqu’ils ont été éclairés pendant la journée avec des lumières bleue, turquoise ou verte. Cette direction est celle de leur migration. Ils sont par contre incapables de s’orienter correctement sous une lumière jaune.
Cette première série d’expérience a été réalisée sous une faible intensité lumineuse (correspondant à celle de l’aube). Dans une deuxième série d’expérience, ils ont multiplié l’intensité lumineuse par 6. De manière surprenante, cette augmentation d’intensité a profondément changé les capacités des oiseaux à utiliser correctement leur sens magnétique (figure 3). La lumière jaune est tout autant perturbante et ne permet pas aux oiseaux de s’orienter. Par contre les lumières bleu turquoise et verte provoquent une déviation par rapport à la normale.
Figure 3 : le cercle gris correspond à la cage. Pendant la journée les rouges-gorges sont éclairés avec des lumières intenses de différentes couleurs (bleue, turquoise, verte ou jaune). Les losanges noirs correspondent à la position des oiseaux pendant la nuit. Aucune de ses lumières ne leur permet de s’orienter correctement.
Afin de s’assurer que ces changements d’orientation sous différentes lumières et sous différentes intensités n’étaient pas dus à un manque de motivation des oiseaux maintenus dans des conditions de vie stressantes, ils ont fait une troisième série d’expérience, avec de la lumière blanche mais en ne permettant à l’oiseau de ne voir que de l’œil gauche ou de l’œil droit, en appliquant sur l’un des yeux un bandeau parfaitement opaque à la lumière. De manière surprenante, seul l’œil droit permet aux rouges-gorges de s’orienter correctement (figure 4)
Figure 4 : le cercle gris correspond à la cage. Pendant la journée les rouges-gorges sont éclairés avec de la lumière naturelle blanche. Les losanges noirs correspondent à la position des oiseaux pendant la nuit.
Ces expériences démontrent sans équivoque que le sens magnétique est dépendant de la lumière et donc de la vision. Point important, seul l’œil droit joue un rôle dans la perception du sens magnétique. Ce dernier résultat prouve de manière incontestable que la perception du sens magnétique chez les oiseaux passe par la vision. Autre point important, les lumières intenses apportent un dérèglement du système de perception du magnétisme. C’est peut-être la raison pour laquelle ces oiseaux ne migrent qu’au crépuscule, lorsque l’intensité de la lumière du soleil est faible.
3/ Quelques réflexions concernant les colombophiles
Il serait tout d’abord étonnant qu’il y ait plusieurs moyens de détecter et de sentir le champ magnétique dans l’embranchement des Oiseaux. Il est donc fortement probable que nos pigeons voyageurs utilisent eux aussi leurs yeux pour percevoir le champ magnétique. Certains chercheurs avaient d’ailleurs montré que par temps couvert, des pigeons voyageurs avec l’œil gauche occulté avaient plus de mal pour regagner leur pigeonnier que les pigeons qui avaient l’œil droit occulté. Le résultat de cette expérience sur les pigeons voyageurs est à rapprocher de ceux obtenus sur le rouge-gorge.
Ces résultats montrent aussi que les fortes intensités de lumière dérèglent la boussole magnétique des rouges-gorges. Tout à chacun garde en mémoire des désastres sous un ciel d’un bleu intense et sans aucun nuage. On peut émettre l’hypothèse que lorsque le soleil brille trop fort (conjonction d’une journée sans nuage, et sans humidité), il y a un conflit entre la boussole solaire et la boussole magnétique et que cela entraîne des erreurs dans le choix de la direction des pigeons. Ces kilomètres supplémentaires, ajoutés à une journée éprouvante physiquement (due à la chaleur), entraînent des pertes massives.
Pour finir, et sans vouloir prendre parti dans la théorie des yeux, ces expériences montrent bien qu’il y a plus dans les yeux que la simple détection de la lumière et donc de la vision. Je ne sais pas si les signes observés par les spécialistes ont un quelconque rapport avec la détection du sens magnétique chez l’oiseau mais peut-être qu’il faudrait regarder plutôt l’œil droit que l’œil gauche.
Source: Institut de développement des connaissances sur l’orientation des oiseaux
La navigation magnétique du pigeon
Orage magnétique et orientation du pigeon voyageur