Le pigeon dans son passé – Karel Wegge (10)
Il n’existe malheureusement pas de photos de Karel Wegge, ni de son colombier ou de ses pigeons. Tout ce que nous pouvons montrer c’est une photo de l’endroit où se trouvait jadis le moulin de Wegge. De cet endroit Wegge avait une bonne vue sur la ville de Lierre et voyait arriver ses pigeons de très loin.
Parmi les anciens champions belges pressentis comme étant à la base de notre pigeon moderne, Karel Wegge est sûrement un des plus connus, sinon le seul qui soit passé à la postérité et qui représente encore quelque chose pour nos plus anciens pratiquants. Hélas, comme nous l’avions déjà mentionné, la légende dépasse souvent la réalité. Tel est le cas de l’histoire de Karel Wegge dont la gloire et la renommée furent reconnues bien des années après sa mort, grâce à l’habile publicité menée par Félix Gigot, rédacteur en chef du Martinet, premier journal colombophile à avoir procédé régulièrement à des ventes publiques.
La tradition orale et l’exagération populaire ont fait le reste. Cinquante ans après la mort du champion lierrois, on pouvait encore lire des nomenclatures de ventes faisant référence aux « purs Wegge »… C’est pourquoi nous tenons à vous livrer dans un premier temps ce que fut la légende pour mieux en faire ressortir ce qui fut la réalité des choses. Si des Dardenne, Hansenne ou Dedoyard furent d’exceptionnels champions de leur vivant en terre liégeois, Karel Wegge obtint sa part de gloire dans sa ville natale de Lierre.
Bien plus, on put lui décerner le titre de « Roi des Flandres » tant ses résultats transcendaient ceux de la concurrence régionale. Et il semble bien que le meunier de Lierre possédât, outre un sens aigu de l’observation, quelques « secrets » qui lui donnaient un quart de siècle d’avance sur ses plus proches rivaux. Il semblerait que Wegge ait pratiqué une sorte de veuvage avant la lettre, seul quasiment en terre anversoise alors que ce système était déjà assez répandu parmi les grands champions liégeois et verviétois. De plus, sa colonie était suffisamment importante pour enloger de gros contingents de mâles.
Certes quelques femelles étaient jouées et sa fameuse « Windhoos » (Tornade) remportait régulièrement des prix de tête. Mais sur dix pigeons qui partaient au concours huit étaient des mâles. Plusieurs témoins dont un employeur du minotier Wegge font état d’une bien étrange pratique pour l’époque: le pigeon qui avait remporté un premier prix le dimanche était placé en volière le lundi pour le préparer au concours suivant avec la simple remarque que « ça lui faisait du bien d’y rester! » Wegge était un infatigable chercheur de bons pigeons pour maintenir sa colonie au plus haut niveau. Il était persuadé que la race anversoise était la meilleure, chose que nous démontrerons fausse par après. Quand il introduisait un sujet, il exigeait qu’il présentât toutes les caractéristiques de sa propre « race » et c’est à prix d’or que furent achetés des sujets comme le Noir velours de Ward Caenen ou la fameuse Reine de Vluymans.
Rien d’ailleurs ne pouvait détourner le Lierrois de son idée. Atelle enseigne, il avait souhaité à plusieurs reprises pouvoir acheter le bon pigeon d’un de ses meilleurs rivaux et autant de fois, l’homme avait décliné l’offre. Vint un hiver où cet amateur fut gravement malade et manqua d’argent. Wegge revint à la charge et finit par obtenir le pigeon tant convoité en échange d’une très forte somme. Karel Wegge dut également bourse délier pour obtenir d’excellents
sujets de chez Ulens et de chez Vekemans.
Plusieurs anecdotes de la légende populaire attribuent à Wegge une très grande « science » en colombophilie, reconnue de plus par ses contemporains. Telle fois, il ne put acheter un sujet désiré et parvint malgré tout à l’obtenir en location pour un couple d’oeufs à condition qu’il n’ait pas encore élevé. Le pigeon présenté, Wegge le rendit à son propriétaire, après examen. Il avait déjà été accouplé et avait eu une première tournée d’oeufs! Une autre fois, un de ses amis, Frans, lui demanda d’examiner les 18 pigeons qu’il allait enloger au concours.
Frans lui présenta son premier marqué. Karel Wegge l’examina attentivement, se dirigea vers la porte et le lâcha à la grande stupéfaction du colombophile. Pour seule explication, il n’y eut qu’un « si tu enloges encore pareil pigeon, notre amitié est terminée! ». Et voilà notre Frans qui plaça le pigeon à l’élevage et découvrit ainsi le meilleur reproducteur de sa carrière colombophile.
Telle autre fois, Karel Wegge apprenait à ses pigeons de fond à boire pour éviter de perdre trop de temps en les amenant dans un panier de concours s’abreuver en bordure de la Nete ou d’une autre rivière, posant le panier juste sur la rive de telle sorte que les pigeons puissent boire l’eau encore pure à l’époque. Célibataire, Karel Wegge consacrait l’entièreté de son temps à l’observation et la préparation de ses sujets. Un de ses « secrets » était l’utilisation d’une tisane de racines de gentiane dont les propriétés médicinales sont reconnues pour faciliter la digestion et tonifier l’organisme. Jules Janssens, premier président de la Fédération Colombophile Belge, dut en grande partie ses succès dans les concours de grand fond aux Wegge ou à des croisements Wegge – Van Schingen effectués de main de maître par le minotier de Lierre en personne.
D’autre part, les Wegge se croisèrent encore fort bien avec d’autres lignées comme les Grooters. Ce dernier type d’accouplement fut en partie à la base des Bekeman que l’on retrouve dans la fondation des lignées Bricoux et Duray. Le couple de reproducteurs de base qui passa à la postérité chez Karel Wegge fut incontestablement la « Vieille Blue productrice » de chez Schewijck (origine inconnue) accouplée soit au « Petit Noir », soit au « Rouge ». Du Petit Noir accouplé à la Vieille Bleue naquit le célèbre Bleu Vendôme, qui fut d’abord placé au colombier d’élevage avant d’être entraîné en 1895 et de remporter la même année quatre premiers prix dont le 1 er national de Vendôme par vent de nord-est, avec une demi-heure d’avance sur le deuxième.
La lignée du Vendôme fut également croisée chez Wegge avec des Vekemans qui engendrèrent d’excellents fonciers comme la femelle pâle qui remporta un premier prix sur Bilbao (1.000 km) ou la vieille écaillée qui se classa 3ème sur la même étape, 3ème à Auch (800 km), 4ème au Bayonne de Liège (960 km) et 17ème au Tolosa de Chénée (1.080 km).
A la fin de sa vie, lorsque la maladie le cloua sur son lit de mort, Karel Wegge répondit à ceux qui demandaient s’il fallait continuer de jouer ses pigeons, « qu’ils devaient les vendre tous car ils étaient incapables de les jouer correctement puisqu’ils n’y connaissent absolument rien! » « C’est sur cette sentence que se termina la vie de Wegge et que débuta sa légende.
Au-delà de ces anecdotes, nous allons découvrir une toute autre réalité…
Karel Wegge (1848-1896) resta en réalité un amateur fort quelconque jusqu’en 1880. Il avait pour habitude d’acheter des pigeons un peu partout mais n’hésitait pas à liquider tout son élevage si le succès le boudait. Ce serait en 1882 qu’il entra en contact avec un dénommé Welles, éleveur de chevaux et colombophile. Il obtint de ce dernier l’autorisation d’aller jeter un coup d’oeil au-dessus des écuries.
Dans le lot, il remarqua plusieurs égarés aux ailes couverte de contre-marques (les bagues en caoutchouc n’avaient pas encore été inventées). C’est ainsi que deux mâles aux yeux gris, à tête ronde et bec court, aux ailes puissantes et longues mais au corps relativement petit arrivèrent au colombier du moulin du « Hoogveldweg » à Lierre. Les croisements avec sa propre lignée semblèrent porter leurs fruits puisqu’on leur attribue son succès au Libourne du Zoo d’Anvers (800 km) où parmi les 20 pigeons revenus le jour même, 8 appartenaient à Wegge. Cela se passait en 1885.
Plus tard, vers 1888 ou 1889, un autre sujet un magnifique mâle pâle, fut introduit après acquisition auprès d’un certain Beulens de Berlaar. Ce pâle s’était réfugié là-bas depuis plusieurs semaines et possédait de nombreuses contre-marques dont Bordeaux, Lisbonne (1.900 km) et Bilbao.
Ce sujet fut décrit comme de conformation semblable au pigeon voyageur liégeois. Enfin, un court bec liégeois fut acheté chez Médard van den Eynde pour la somme de 40 fr-Or!
Qu’il y ait eu l’adjonction d’Ulens par Vekemans dans les années 1890 jusqu’à la fin de la vie de Karel Wegge ne fait aucun doute, d’autant plus que la vente Vekemans eut lieu en 1890. Mais l’on ne peut s’empêcher de constater que la base de la colonie ainsi décrite relève des caractéristiques du pigeon liégeois. Il est plus que certain que Karel Wegge avait recherché ce type de sujet nettement plus performant sur les longues distances parce que plus résistant et plus tenace que le gros-bec anversois. Ajoutons encore que les photos et témoignages rapportés à propos des pigeons Wegge n’étant pas issus d’un premier croisement Ulens-Vekemans décrivent un pigeon beaucoup plus proche du court-bec liégeois que d’une autre variété. Le Vendôme en est la parfaite illustration: gabarit moyen aux muscles puissants et rebondis, court sur pattes, possédant des ailes fort longues, un bec assez court et large, des yeux gris sans brodures. Wegge fut-il le grand champion tel qu’on voulut bien le décrire des dizaines d’années plus tard?
Un élément peut nous permettre de mieux situer la réalité de ce que fut Karel Wegge: son décès. Il eut lieu le 27 octobre 1896. S’il eut été reconnu comme
champion incontestable, il eût droit à de longs compte-rendues et hommages de ses pairs dans la presse. Or seul un journal local narra en deux lignes son décès sans le moindre commentaire. On est alors à tout le moins tenté de croire que le « Roi des Flandres » n’avait pas eu un règne si glorieux qu’on voulut nous le faire croire. Une habile et tenace publicité lui a donné une gloire posthume.
[ Source: Article édité par Revue PIGEON RIT ]
Pour vous abonner au Magazine PIGEON RIT – Cliquez sur le bouton ci-dessous !
Le pigeon dans son passé – Bonification pour parcours pédestre.(9)
Le pigeon dans son passé – Le pigeon à travers les siècles. (8)